zombis et zombis-p

Les zombis sont des cadavres sans âme, créés par la magie noire du sorcier vaudou. Le vaudou est une religion qui a son origine en Afrique de l'ouest, amenée à Haïti au début du 16ème siècle par des esclaves d'Afrique de l'ouest. Les esclaves ne pouvaient pas pratiquer leur religion ouvertement et étaient obligés d'adopter en public les pratiques des colons catholiques français. Le vaudou est toujours une religion populaire en Haïti et dans les villes où les Haïtiens ont émigré, comme à la Nouvelle-Orléans. Vodu est un mot africain signifiant esprit ou dieu. La magie noire des sorciers vaudous est prétendument constistuée de divers poisons (peut-être celui du poisson-globe) qui peuvent immobiliser une personne pendant plusieurs jours, ainsi que des hallucinogènes administrés au moment du réveil. Le résultat est une créature au cerveau endommagé que les sorciers utilisent comme des esclaves, en un mot : des zombis. Le zombi ne doit pas être confondu avec le zombi astral, dont l'âme(ti-bon-ange) est controllée par le sorcier.

On peut comprendre qu'une religion pratiquée sous l'esclavage insiste sur les mauvais esprits. Par une cruelle ironie, certains pratiquants de cette religion en sont venu à prier sur des autels dédiés au mal et rentrent dans des pratiques qui non seulement mettent les autres en esclavage mais aussi garde la communauté dans la crainte d'être transformé en zombi/esclave.

Beaucoup de gens doutent de l'existence des zombis, ce que je comprend comme un doute sur le fait qu'une personne morte puisse revenir à la vie, en gardant ou non son "âme" ou sa "conscience de soi" ou son "esprit". Une fois mort, vous l'êtes pour toujours. Pour ceux qui ne croient pas qu'une personne ait une âme, la mort n'est pas la séparation du corps et de l'âme, mais la fin de la vie et de la conscience. Le zombi vaudou n'est pas une personne morte mais une personne vivante dont le cerveau a été endommagé.

Il y a néanmoins une autre sorte de zombi: le zombi philosophique. Un zombi philosophique (zombi_p, en abrégé) serait un corps humain sans conscience qui se comporterait quand même comme un corps humain avec sa conscience. Pour certains philosophes (e.g., Daniel Dennett) cette notion est contradictoire et donc impossible à concevoir. Si ça se comporte comme une personne et que c'est indiscernable d'une personne, alors c'est une personne. D'autres philosophes (par exemple Todd Moody et David Chalmers) prétendent qu'un zombi-p serait discernable d'une personne bien qu'indiscernable d'une personne consciente. Elle est discernable, disent ces philosophes, parce qu'il est stipulé qu'elle n'est pas consciente, même si elle n'est pas discernable d'un être conscient. Si par hasard vous vous demandez pourquoi des philosophes débatent de la possibilité de concevoirun zombi-p, c'est parce que certains philosophes ne croient pas ou ne veulent pas croire que la conscience puisse être ramenée à un ensemble de fonctions matérialistes. La possibilité de l'existence de zombis-p semble être un élément vital pour certains points métaphysiques et éthiques. Les machines peuvent-elles être conscientes ? Si nous créons une machine qui est indiscernable d'une personne, notre création artificielle serait-elle une "personne" avec tous les droits et devoirs d'une personne naturelle ? Pour les partisans du zombi-p, la conscience est plus que les processus cérébraux et les fonctions neurologiques. Aucun compte-rendu correct "réductionniste", c'est à dire complètement matérialiste, de la conscience ne sera jamais présenté.

Je pense qu'il est possible de concevoir une machine qui "perçoit" sans être consciente de percevoir. En fait, elles existent déjà: détecteurs de mouvement, écrans tactiles, magnétophones, détecteurs de fumées, certains robots. Un androïde qui pourrait traiter des entrées visuelles, auditives, tactiles, olfactives et gustatives mais qui n'aurait pas de conscience de soi, c'est-à-dire qui ne serait pas concient de percevoir quoi que ce soit, est concevable. Nous pouvons même imaginer des machines ressemblant à des humains de chair et d'os. Comment ferions-nous la différence entre de tels automates et des personnes ? De la même manière que nous le faisons aujourd'hui: par les méthodes imparfaites et faillibles de la conversation et de l'observation. Mais ceci n'est pas ce qui ferait que les deux sont différents; c'est la conscience de soi, ou son absence, qui distinguerait les automates des personnes. La "perception visuelle" d'un détecteur de mouvement est différente de celle d'une personne du fait de la différence de conscience de la perception, c'est-à-dire de la conscience de soi. Un détecteur de fumée peut "sentir" certains composés chimiques, mais il ne traite pas les odeurs comme le fait une personne. A mon sens, le seul zombi-p concevable serait une machine qui perçoit mais n'a pas conscience de sa perception, c'est-à-dire pas de conscience de soi. Ces machines sont fondamentalement différentes des personnes conscientes.

Pour ce qui me concerne, je suis d'accord avec Dennett et avec ceux qui pensent que le concept de zombi-p est une absurdité logique. Si le "zombi" montre tous les symptômes de la conscience, alors le "zombi" n'en est pas un; car montrer tous les symptômes de la conscience signifie être conscient, ce que le zombi n'est pas, par définition.

De toute façon, ceci me rappelle une histoire de Raymond Smullyan, le fameux logicien et inventeur de paradoxes. Un homme veut se suicider mais ne veut pas faire la moindre peine à sa famille. Il trouve un élixir qu'il peut utiliser et qui le tuera, c'est-à-dire qui séparera son âme de son corps, mais laissera le corps intact, qui pourra se réveiller, aller au travail, jouer avec les enfants, satisfaire sa femme et soutenir financièrement sa famille. Mais avant qu'il prenne cet élixir, un ami bien-intentionné s'approche sans bruit pendant la nuit et l'injecte à son ami suicidaire, et donc le tue, c'est-à-dire détache son âme. L'homme se réveille et ignore qu'il est mort (c'est-à-dire qu'il n'a pas d'âme), et donc il boit l'élixir. Il ne peut pas se tuer, puisqu'il est déjà mort. Mais il croit qu'il peut se tuer et devient un zombi-p. Néanmoins, il est déjà un zombi-p. Question: si le zombi-p est incapable de faire la différence entre une personne réelle et un zombi-p, qu'est-ce qui nous permet de croire que de vraies personnes pourraient faire cette différence ? En fait, puisque le concept "d'âme" ne fait pas la moindre différence de nature pour une personne ou pour un zombi-p, le concept "d'âme" est superflu. Si des personnes ne peuvent être distinguer de zombi-p, alors il ne s'agit pas de deux concepts distincts, mais d'un seul, manipulé par le langage pour nous faire croire qu'il y en aurait deux différents dans ce cas.

En ce qui concerne les questions éthiques sur la manière de traiter les androïdes dont le comportement est indifférenciable des personnes naturelles, je pense que si nous stipulons que ces créatures sont des personnes ayant des droits, alors ce seront des personnes; sinon, elles n'en seront pas. Le concept de personne n'est pas une affaire de découverte, mais de stipulation. Je soutiendrais aussi que la même chose s'applique au concept "d'âme." Mais cela ne s'applique pas au concept de "conscience": toute personne consciente devrait être capable de faire la différence entre un corps mort et une personne vivante. Des personnes mortes qui agissent comme des personnes, et des corps sans âme qui perçoivent commes des personne conscientes, ça n'existe que dans les films ou dans la tête de certain philosophes et autres écrivains d'histoires imaginaires.

Personnellement, je soutiendrais que des androïdes qui seraient conscients d'eux-mêmes devraient accéder au statut de personnes, en se fondant sur le fait que la distinction entre synthétique et naturelle est sans importance. Il me semble que ceux qui croient aux âmes ne seraient pas d'accord et justifieraient ainsi la création d'une race d'androïde en vue de servir d'esclaves, et qu'on pourrait traiter comme des objets et non des personnes.


Autres lectures

Churchland, Patricia Smith. Neurophilosophy - Toward a Unified Science of the Mind-Brain (Cambridge, Mass.: MIT Press, 1986).

Dennett, Daniel Clement. Brainstorms: Philosophical Essays on Mind and Psychology (Montgomery, Vt.: Bradford Books, 1978).

Dennett, Daniel Clement. Consciousness explained illustrated by Paul Weiner (Boston : Little, Brown and Co., 1991).

Dennett, Daniel Clement. Kinds of minds: toward an understanding of consciousness (New York, N.Y. : Basic Books, 1996).

Davis, Wade. The Serpent and the Rainbow (New York: Warner Books, 1985). By the Carlos Castaneda/Indiana Jones of Harvard. The book was made into a movie in 1988. Read Roger Ebert's 3-star review.

Davis, Wade. Passage of darkness : the ethnobiology of the Haitian zombi (Chapel Hill : University of North Carolina Press, 1988).

Hofstadter, Douglas R. and Daniel C. Dennett The mind's I: fantasies and reflections on self and soul (New York : Basic Books, 1981).

Ryle, Gilbert. The Concept of Mind (New York: Barnes and Noble: 1949).

Sacks, Oliver W. An anthropologist on Mars : seven paradoxical tales (New York : Knopf, 1995).

Sacks, Oliver W. The man who mistook his wife for a hat and other clinical tales (New York : Summit Books, 1985).

Sacks, Oliver W. A leg to stand on (New York : Summit Books, 1984).